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FABLES CHOISIES.




IV.
LE HÉRON.
LA FILLE.



Un jour sur ses longs pieds alloit je ne sçais où,
Le Héron au long bec emmanché d’un long cou.
Il costoyoit une riviere.
L’onde estoit transparente ainsi qu’aux plus beaux jours ;
Ma commere la carpe y faisoit mille tours
Avec le brochet son compere.
Le Héron en eust fait aisément son profit :
Tous approchoient du bord, l’oiseau n’avoit qu’à prendre ;
Mais il crût mieux faire d’attendre
Qu’il eût un peu plus d’appetit.
Il vivoit de regime, et mangeoit à ses heures.
Apres quelques momens l’appetit vint ; l’oiseau
S’approchant du bord vid sur l’eau
Des Tanches qui sortoient du fond de ces demeures.
Le mets ne luy plut pas ; il s’attendoit à mieux ;
Et montroit un goust dédaigneux
Comme le rat du bon Horace[1].
Moy des Tanches ? dit-il, moy Héron que je fasse
Une si pauvre chere ? et pour qui me prend-on ?

  1. Le rat de ville que le rat des champs s’efforce en vain de contenter :
    Cupiens varia fastidia cœna
    Vincere tangentis male singula dente superbo.
    (livre II, satire 6.)

    Voyez ci-dessus, page 47, l’imitation que La Fontaine a faite de ce récit.