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PREFACE.

proprietez des Animaux, et leurs divers Caractères y sont exprimez ; par consequent les nostres aussi, puisque nous sommes l’abregé de ce qu’il y a de bon et de mauvais dans les créatures irraisonnables. Quand Promethée voulut former l’homme, il prit la qualité dominante de chaque Beste. De ces pieces si differentes il composa nostre espece, il fit cét Ouvrage qu’on appelle le petit monde. Ainsi ces Fables sont un Tableau où chacun de nous se trouve dépeint. Ce qu’elles nous representent confirme les personnes d’âge avancé dans les connoissances que l’usage leur a données, et apprend aux enfans ce qu’il faut qu’ils sçachent. Comme ces derniers sont nouveau-venus dans le monde, ils n’en connoissent pas encore les habitans, ils ne se connoissent pas eux mesmes. On ne les doit laisser dans cette ignorance que le moins qu’on peut : il leur faut apprendre ce que c’est qu’un Lion, un Renard, ainsi du reste ; et pourquoy l’on compare quelquefois un homme à ce Renard ou à ce Lion. C’est à quoy les Fables travaillent : les premieres Notions de ces choses proviennent d’elles.

J’ay deja passé la longueur ordinaire des Prefaces ; cependant je n’ay pas encore rendu raison de la conduite de mon Ouvrage. L’Apologue est composé de deux parties, dont on peut appeller l’une le Corps, l’autre l’Ame. Le Corps est la Fable, l’Ame la Moralité. Aristote n’admet dans la Fable que les Animaux ; il en exclud les hommes et les Plantes. Cette Regle est moins de necessité que de bien-