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FABLES CHOISIES.

Nostre défunt estoit en carosse porté,
Bien et deûment empaqueté,
Et vestu d’une robe, helas ! qu’on nomme biere,
Robe d’hyver, robe d’esté,
Que les morts ne dépoüillent guere.
Le Pasteur estoit à costé.
Et recitoit à l’ordinaire
Maintes devotes oraisons,
Et des pseaumes, et des leçons,
Et des versets, et des réponds ;
Monsieur le Mort laissez-nous faire.
On vous en donnera de toutes les façons ;
Il ne s’agit que du salaire.
Messire Jean Choüart couvoit des yeux son mort,
Comme si l’on eût deu luy ravir ce tresor.
Et des regards sembloit luy dire :
Monsieur le Mort j’auray de vous,
Tant en argent, et tant en cire,
Et tant en autres menus cousts.
Il fondoit là dessus l’achat d’une feüillette
Du meilleur vin des environs ;
Certaine niece assez propette.
Et sa chambriere Pâquette
Devoient avoir des cottillons.
Sur cette agreable pensée
Un heurt survient, adieu le char.
Voila Messire Jean Choüart
Qui du choc de son mort a la teste cassée ;
Le Paroissien en plomb entraîne son Pasteur ;
Nostre Curé suit son Seigneur ;
Tous deux s’en vont de compagnie.
Proprement toute nostre vie

    étoit dans sa bière et en carrosse, on le menoit à une lieue de Boufflers pour l’enterrer, son curé étoit avec le corps. On verse ; la bière coupe le cou au pauvre curé.» (Mme de Sévigné, 26 février 1672).