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Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 1.djvu/223

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LIVRE HUITIÉME.

J’ay beau te le crier ; mon zele est indiscret :
Le plus semblable aux morts meurt le plus à regret.




II.
LE SAVETIER ET LE FINANCIER.



Un Savetier chantoit du matin jusqu’au soir :
C’estoit merveilles de le voir,
Merveilles de l’oüir : il faisoit des passages,
Plus content qu’aucun des sept sages.
Son voisin au contraire, estant tout cousu d’or,
Chantoit peu, dormoit moins encor.
C’estoit un homme de finance.
Si sur le poinct du jour parfois il sommeilloit,
Le Savetier alors en chantant l’éveilloit.
Et le Financier se plaignoit,
Que les soins de la Providence
N’eussent pas au marché fait vendre le dormir,
Comme le manger et le boire.
En son hostel il fait venir
Le chanteur, et luy dit : Or ça, sire Gregoire,
Que gagnez-vous par an ? Par an ? ma foy, Monsieur,
Dit avec un ton de rieur
Le gaillard Savetier, ce n’est point ma maniere
De compter de la sorte ; et je n’entasse guere
Un jour sur l’autre : il suffit qu’à la fin
J’attrape le bout de l’année :
Chaque jour ameine son pain.
Et bien que gagnez-vous, dites-moy, par journée ?
Tantost plus, tantost moins : le mal est que toûjours
(Et sans cela nos gains seroient assez honnestes),
Le mal est que dans l’an s’entremeslent des jours[1]

  1. Ce texte, généralement adopté, est celui que donne
    un carton de l’édition de 1678 ; dans les exemplaires qui