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LIVRE HUITIÉME.

Sort du bois, et s’en vient ; autre beste affamée.
L’Asne appelle aussi-tost le Chien à son secours.
Le Chien ne bouge, et dit : amy, je te conseille
De fuir en attendant que ton maistre s’éveille :
Il ne sçauroit tarder ; détale viste, et cours.
Que si ce Loup t’atteint, casse-luy la mâchoire.
On t’a ferré de neuf ; et si tu me veux croire,
Tu l’étendras tout plat. Pendant ce beau discours
Seigneur Loup étrangla le Baudet sans remede.
Je conclus qu’il faut qu’on s’entrayde.




XVIII.
LE BASSA ET LE MARCHAND.



Un Marchand Grec en certaine contrée
Faisoit trafic. Un Bassa l’appuyoit ;
Dequoy le Grec en Bassa le payoit,
Non en Marchand ; tant c’est chere denrée
Qu’un protecteur. Celuy-cy coûtoit tant,
Que nostre Grec s’alloit par tout plaignant.
Trois autres Turcs d’un rang moindre en puissance
Luy vont offrir leur support en commun.
Eux trois vouloient moins de reconnoissance
Qu’à ce Marchand il n’en coûtoit pour un.
Le Grec écoute : avec eux il s’engage ;
Et le Bassa du tout est averty :
Mesme on luy dit qu’il joûra s’il est sage,
A ces gens-là quelque méchant party,
Les prévenant, les chargeant d’un message
Pour Mahomet, droit en son paradis,
Et sans tarder : Sinon ces gens unis
Le préviendront, bien certains qu’à la ronde,
Il a des gens tout prests pour le venger.
Quelque poison l’envoyra proteger

La Fontaine. — I.
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