Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 1.djvu/259

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
253
LIVRE HUITIÉME.

Perd l’esprit : la lecture a gasté Democrite.
Nous l’estimerions plus s’il estoit ignorant.
Aucun nombre, dit-il, les mondes ne limite :
Peut-estre mesme ils sont remplis
De Democrites infinis.
Non content de ce songe il y joint les atômes,
Enfans d’un cerveau creux, invisibles fantômes ;
Et mesurant les Cieux sans bouger d’icy-bas
Il connoist l’Univers et ne se connoist pas.
Un temps fut qu’il sçavoit accorder les debats ;
Maintenant il parle à luy-mesme.
Venez divin mortel ; sa folie est extrême.
Hipocrate n’eut pas trop de foy pour ces gens :
Cependant il partit : Et voyez, je vous prie,
Quelles rencontres dans la vie
Le sort cause ; Hipocrate arriva dans le temps
Que celuy qu’on disoit n’avoir raison ny sens
Cherchoit dans l’homme et dans la beste
Quel siege a la raison, soit le cœur, soit la teste.
Sous un ombrage épais, assis prés d’un ruisseau,
Les labirintes d’un cerveau
L’occupoient. Il avoit à ses pieds maint volume,
Et ne vid presque pas son amy s’avancer,
Attaché selon sa coûtume.
Leur compliment fut court, ainsi qu’on peut penser.
Le sage est ménager du temps et des paroles.
Ayant donc mis a part les entretiens frivoles.
Et beaucoup raisonné sur l’homme et sur l’esprit,
Ils tomberent sur la morale.
Ils n’est pas besoin que j’étale
Tout ce que l’un et l’autre dit.
Le recit precedent suffit
Pour montrer que le peuple est juge recusable.
En quel sens est donc veritable
Ce que j’ay leu dans certain lieu,
Que sa voix est la voix de Dieu ?