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FABLES CHOISIES.




XXVII.
LE LOUP ET LE CHASSEUR.



Fureur d’accumuler, monstre de qui les yeux
Regardent comme un poinct tous les bienfaits des Dieux,
Te combatray-je en vain sans cesse en cet ouvrage ?
Quel temps demandes-tu pour suivre mes leçons ?
L’homme sourd à ma voix, comme à celle du sage,
Ne dira-t-il jamais. C’est assez, joüissons ?
Haste-toy, mon amy ; Tu n’as pas tant à vivre.
Je te rebats ce mot ; car il vaut tout un livre.
Joüis : Je le feray. Mais quand donc ? des demain.
Eh mon amy, la mort te peut prendre en chemin.
Joüis des aujourd’huy : redoute un sort semblable
A celuy du Chasseur et du Loup de ma fable.
Le premier de son arc avoit mis bas un Daim.
Un Fan de Biche passe, et le voila soudain
Compagnon du défunt ; Tous deux gisent sur l’herbe.
La proye estoit honneste ; un Dain avec un Fan,
Tout modeste Chasseur en eust esté content ;
Cependant un Sanglier, monstre enorme et superbe,
Tente encor nostre archer friand de tels morceaux.
Autre habitant du Styx ; la Parque et ses ciseaux
Avec peine y mordoient ; la Déesse infernale
Reprit à plusieurs fois l’heure au monstre fatale.
De la force du coup pourtant il s’abattit.
C’estoit assez de biens ; mais quoy, rien ne remplit
Les vastes appetits d’un faiseur de conquestes.
Dans le temps que le Porc revient à soy, l’archer
Void le long d’un sillon une perdrix marcher,
Surcroist chetif aux autres testes.