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Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 1.djvu/264

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FABLES CHOISIES.

Tout homme ment, dit le Sage[1].
S’il n’y mettoit seulement
Que les gens du bas estage,
On pourroit aucunement
Souffrir ce defaut aux hommes ;
Mais que tous tant que nous sommes
Nous mentions, grand et petit.
Si quelque autre l’avoit dit,
Je soûtiendrois le contraire.
Et mesme qui mentiroit
Comme Esope, et comme Homere,
Un vray menteur ne seroit.
Le doux charme de maint songe
Par leur bel art inventé,
Sous les habits du mensonge
Nous offre la verité.
L’un et l’autre a fait un livre
Que je tiens digne de vivre
Sans fin, et plus s’il se peut :
Comme eux ne ment pas qui veut.
Mais mentir comme sceut faire
Un certain Dépositaire
Payé par son propre mot.
Est d’un méchant, et d’un sot.
Voicy le fait. Un trafiquant de Perse,
Chez son voisin, s’en allant en commerce,
Mit en dépost un cent de fer un jour.
Mon fer ? dit-il, quand il fut de retour.
Vostre fer ? il n’est plus : j’ay regret de vous dire
Qu’un Rat l’a mangé tout entier.
J’en ay grondé mes gens ; mais qu’y faire ? un Grenier
A toûjours quelque trou. Le trafiquant admire
Un tel prodige, et feint de le croire pourtant.
Au bout de quelques jours il détourne l’enfant
Du perfide voisin ; puis à souper convie
Le pere qui s’excuse, et luy dit en pleurant ;

  1. Omnis homo mendax (Liber psalmorum CXV, 11).