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LIVRE NEUVIÉME.

Dispensez-moy, je vous supplie ;
Tous plaisirs pour moy sont perdus.
J’aimois un fils plus que ma vie ;
Je n’ay que luy ; que dis-je. ? helas ! je ne l’ay plus.
On me l’a dérobé. Plaignez mon infortune.
Le Marchand repartit : Hier au soir sur la brune
Un Chat-huant s’en vint vostre fils enlever.
Vers un vieux bastiment je le luy vis porter.
Le pere dit : Comment voulez-vous que je croye
Qu’un Hibou pût jamais emporter cette proye ?
Mon fils en un besoin eust pris le Chat-huant.
Je ne vous diray point, reprit l’autre, comment :
Mais enfin je l’ay veu, veu de mes yeux, vous dis-je,
Et ne vois rien qui vous oblige
D’en douter un moment après ce que je dis.
Faut-il que vous trouviez estrange
Que les Chat-huans d’un pays
Où le quintal de fer par un seul Rat se mange,
Enlèvent un garçon pesant un demy-cent ?
L’autre vid où tendoit cette feinte aventure.
Il rendit le fer au Marchand,
Qui luy rendit sa géniture.
Mesme dispute avint entre deux voyageurs.
L’un d’eux estoit de ces conteurs
Qui n’ont jamais rien vu qu’avec un microscope.
Tout est Geant chez eux ; Ecoutez-les, l’Europe
Comme l’Afrique, aura des monstres à foison.
Celuy-cy se croyoit l’hyperbole permise.
J’ay veu, dit-il, un chou plus grand qu’une maison.
Et moy, dit l’autre, un pot aussi grand qu’une Eglise.
Le premier se mocquant, l’autre reprit : tout doux ;
On le fit pour cuire vos choux.
L’homme au pot fut plaisant ; l’homme au fer fut habile.
Quand l’absurde est outré, l’on luy fait trop d’honneur
De vouloir par raison combatre son erreur ;
Encherir est plus court, sans s’échauffer la bile.