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FABLES CHOISIES.

Que ce soit aux rives prochaines[1],
Soyez-vous l’un à l’autre un monde toûjours beau,
Toûjours divers, toûjours nouveau ;
Tenez-vous lieu de tout, comptez pour rien le reste.
J’ay quelquefois aimé ; je n’aurois pas alors,
Contre le Louvre et ses tresors,
Contre le firmament et sa voûte celeste,
Changé les bois, changé les lieux,
Honorez par les pas, éclairez par les yeux
De l’aimable et jeune bergere
Pour qui sous le fils de Cythere
Je servis engagé par mes premiers sermens.
Helas ! quand reviendront de semblables momens ?
Faut-il que tant d’objets si doux et si charmans
Me laissent vivre au gré de mon ame inquiéte ?
Ah si mon cœur osoit encor se renflâmer !
Ne sentiray-je plus de charme qui m’arreste
Ay-je passé le temps d’aimer ?




III.
LE SINGE ET LE LÉOPARD.



Le singe avec le léopard
Gagnoient de l’argent à la foire.
Ils affichoient chacun à part.
L’un d’eux disoit : Messieurs, mon merite et ma gloire
Sont connus en bon lieu ; le Roy m’a voulu voir ;
Et si je meurs il veut avoir
Un manchon de ma peau ; tant elle est bigarrée,
Pleine de taches, marquetée,

  1. La Fontaine appelle ailleurs la mer :
    L’élement
    Qui doit être évité de tout heureux amant.
    (Les filles de Minée, T. II, p. 454.)