Je diray : J’estois là ; telle chose m’avint :
Vous y croirez estre vous mesme.
A ces mots, en pleurant ils se dirent adieu.
Le voyageur s’éloigne : et voila qu’un nuage
L’oblige de chercher retraite en quelque lieu.
Un seul arbre s’offrit, tel encor que l’orage
Mal-traita le Pigeon en dépit du feüillage.
L’air devenu serein il part tout morfondu,
Seche du mieux qu’il peut son corps chargé de pluye,
Dans un champ à l’écart void du bled répandu,
Void un Pigeon aupres, cela luy donne envie :
Il y vole, il est pris ; ce bled couvroit d’un las
Les menteurs et traistres appas.
Le las estoit usé ; si bien que, de son aisle,
De ses pieds, de son bec, l’oiseau le rompt enfin :
Quelque plume y perît ; et le pis du destin
Fut qu’un certain Vautour à la serre cruelle
Vid nostre malheureux qui, traisnant la fiscelle,
Et les morceaux du las qui l’avoit attrapé,
Sembloit un forçat échapé.
Le Vautour s’en alloit le lier, quand des nuës
Fond à son tour un Aigle aux aisles étenduës.
Le Pigeon profita du conflit des voleurs,
S’envola, s’abatit auprés d’une mazure,
Crut pour ce coup que ses malheurs
Finiroient par cette aventure :
Mais un fripon d’enfant, cet âge est sans pitié,
Prit sa fronde, et du coup tua plus d’amoitié
La volatile malheureuse,
Qui, maudissant sa curiosité,
Traisnant l’aile, et tirant le pié,
Demi-morte, et demi-boiteuse.
Droit au logis s’en retourna :
Que bien que mal elle arriva
Sans autre aventure fascheuse.
Voila nos gens rejoints ; et je laisse à juger
De combien de plaisirs ils payerent leurs peines.
Amans, heureux amans, voulez-vous voyager ?
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Apparence
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LIVRE NEUVIÉME.