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FABLES CHOISIES.

Vraiment nous voicy bien, lors que je suis à jeun,
Tu me viens parler de musique.
J’en parle bien aux Rois : Quand un Roy te prendra,
Tu peux luy conter ces merveilles :
Pour un Milan, il s’en rira ;
Ventre affamé n’a point d’oreilles.




XIX.
LE BERGER ET SON TROUPEAU.



Quoy toûjours il me manquera
Quelqu’un de ce peuple imbecille !
Toûjours le Loup m’en gobera !
J’auray beau les compter : ilsestoient plus de mille,
Et m’ont laissé ravir nostre pauvre Robin ;
Robin mouton qui par la ville
Me suivoit pour un peu de pain,
Et qui m’auroit suivy jusques au bout du monde.
Helas ! de ma musette il entendoit le son :
Il me sentoit venir de cent pas à la ronde.
Ah le pauvre Robin mouton !
Quand Guillot eut finy cette oraison funebre,
Et rendu de Robin la memoire celebre,
Il harangua tout le troupeau,
Les chefs, la multitude, et jusqu’au moindre agneau,
Les conjurant de tenir ferme :
Cela seul suffiroit pour écarter les Loups :
Foy de peuple d’honneur ils luy promirent tous,
De ne bouger non plus qu’un terme.
Nous voulons, dirent-ils, étouffer le glouton,
Qui nous a pris Robin mouton.
Chacun en répond sur sa teste.
Guillot les crut et leur fit feste.