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DISCOURS.

Qu’il faut de tout aux entretiens :
C’est un parterre, où Flore épand ses biens ;
Sur différentes fleurs l’Abeille s’y repose.
Et fait du miel de toute chose.
Ce fondement posé ne trouvez pas mauvais,
Qu’en ces Fables aussi j’entremêle des traits
De certaine Philosophie
Subtile, engageante, et hardie.
On l’appelle nouvelle. En avez-vous ou non
Oüy parler ? Ils disent donc
Que la beste est une machine ;
Qu’en elle tout se fait sans choix et par ressorts :
Nul sentiment, point d’ame, en elle tout est corps.
Telle est la monstre qui chemine,
A pas toûjours égaux, aveugle et sans dessein.
Ouvrez-la, lisez dans son sein ;
Mainte roüe y tient lieu de tout l’esprit du monde.
La premiere y meut la seconde,
Une troisiéme suit, elle sonne à la fin.
Au dire de ces gens, la beste est toute telle :
L’objet a frape en un endroit ;
Ce lieu frapé s’en va tout droit
Selon nous au voisin en porter la nouvelle ;
Le sens de proche en proche aussi-tost la reçoit.
L’impression se fait, mais comment se fait-elle ?
Selon eux par necessité,
Sans passion, sans volonté :
L’animal se sent agité
De mouvemens que le vulgaire appelle
Tristesse, joye, amour, plaisir, douleur cruelle,
Ou quelque autre de ces estats ;
Mais ce n’est point cela ; ne vous y trompez pas.
Qu’est-ce donc ? une monstre ; et nous ? c’est autre chose.
Voicy de la façon que Descartes l’expose ;
Descartes ce mortel dont on eust fait un Dieu
Chez les Payens, et qui tient le milieu
Entre l’homme et l’esprit, comme entre l’huistre et l’homme
Le tient tel de nos gens, franche beste de somme.