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A M. DE LA SABLIERE.

Voicy, dis-je, comment raisonne cet Auteur,
Sur tous les animaux enfans du Createur,
J’ay le don de penser, et je sçais que je pense.
Or vous sçavez Iris de certaine science.
Que quand la beste penseroit,
La Beste ne refléchiroit
Sur l’objet, ny sur sa pensée.
Descartes va plus loin, et soûtient nettement,
Qu’elle ne pense nullement.
Vous n’estes point embarassée
De le croire, ny moy. Cependant quand aux bois
Le bruit des cors, celuy des voix
N’a donné nul relâche à la fuyante proye,
Qu’en vain elle a mis ses efforts
A confondre, et broüiller la voye,
L’animal chargé d’ans, vieux Cerf et de dix cors,
En suppose un plus jeune, et l’oblige par force,
A presenter aux chiens une nouvelle amorce.
Que de raisonnemens pour conserver ses jours !
Le retour sur ses pas, les malices, les tours,
Et le change, et cent stratagèmes
Dignes des plus grands chefs, dignes d’un meilleur sort !
On le déchire apres sa mort ;
Ce sont tous ses honneurs suprêmes.

Quand la Perdrix
Void ses petits
En danger, et n’ayant qu’une plume nouvelle,
Qui ne peut fuir encor par les airs le trépas ;
Elle fait la blessée, et va traisnant de l’aisle,
Attirant le Chasseur, et le Chien sur ses pas,
Détourne le danger, sauve ainsi sa famille,
Et puis quand le Chasseur croit que son Chien la pille,
Elle luy dit adieu, prend sa volée, et rit
De l’homme, qui confus des yeux en vain la suit.

Non loin du Nort il est un monde,
Où l’on sçait que les habitans