Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 1.djvu/293

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
287
A M. DE LA SABLIERE.

Jamais la guerre avec tant d’art
Ne s’est faite parmy les hommes,
Non pas mesme au siecle où nous sommes.
Corps de garde avancé, vedettes, espions,
Embuscades, partis, et mille inventions
D’une pernicieuse, et maudite science,
Fille du Stix, et mere des heros,
Exercent de ces animaux
Le bon sens, et l’experience.
Pour chanter leurs combats, l’Acheron nous devroit
Rendre Homere. Ah s’il le rendoit
Et qu’il rendît aussi le rival d’Epicure[1] !
Que diroit ce dernier sur ces exemples-cy ?
Ce que j’ay déjà dit, qu’aux bestes la nature
Peut par les seuls ressorts operer tout cecy ;
Que la memoire est corporelle,
Et que pour en venir aux exemples divers,
Que j’ay mis en jour dans ces vers,
L’animal n’a besoin que d’elle.
L’objet lors qu’il revient, va dans son magazin
Chercher par le mesme chemin
L’image auparavant tracée,
Qui sur les mesmes pas revient pareillement,
Sans le secours de la pensée,
Causer un mesme évenement.
Nous agissons tout autrement.
La volonté nous détermine,
Non l’objet, ny l’instinct. Je parle, je chemine ;
Je sens en moy certain agent ;
Tout obeït dans ma machine
A ce principe intelligent.
Il est distinct du corps, se conçoit nettement,
Se conçoit mieux que le corps mesme :
De tous nos mouvemens c’est l’arbitre suprême.
Mais comment le corps l’entend-il ?
C’est là le point : je vois l’outil

  1. Descartes.