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DISCOURS

Vivent ainsi qu’aux premiers temps
Dans une ignorance profonde :
Je parle des humains ; car quant aux animaux,
Ils y construisent des travaux,
Qui des torrens grossis arrestent le ravage,
Et font communiquer l’un et l’autre rivage.
L’edifice resiste, et dure en son entier ;
Apres un lit de bois, est un lit de mortier ;
Chaque Castor agit ; commune en est la tâche ;
Le vieux y fait marcher le jeune sans relâche.
Maint maistre d’œuvre y court, et tient haut le baston.
La republique de Platon
Ne seroit rien que l’apprentie
De cette famille amphibie.
Ils sçavent en hyver élever leurs maisons,
Passent les estangs sur des ponts,
Fruit de leur art, sçavant ouvrage ;
Et nos pareils ont beau le voir ;
Jusqu’à présent tout leur sçavoir
Est de passer l’onde à la nage.

Que ces Castors ne soient qu’un corps vuide d’esprit
Jamais on ne pourra m’obliger à le croire :
Mais voicy beaucoup plus : écoutez ce recit.
Que je tiens d’un Roy plein de gloire.
Le défenseur du Nort vous sera mon garend :
Je vais citer un Prince aimé de la victoire :
Son nom seul est un mur à l’empire Ottoman ;
C’est le Roy Polonois[1], jamais un Roy ne ment.
Il dit donc que sur sa frontiere
Des animaux entr’eux ont guerre de tout temps :
Le sang qui se transmet des peres aux enfans,
En renouvelle la matiere.
Ces animaux, dit-il, sont germains du Renard.

  1. Sobieski, vainqueur des Turcs à Choczim, en 1673. La Fontaine avait eu occasion de le voir chez Mme de La Sablière.