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LIVRE DIXIÉME.

Moy-mesme de mon bien je seray le larron.
Le larron, quoy joüir, c’est se voler soy-mesme !
Mon amy, j’ai pitié de ton erreur extrême ;
Appren de moy cette leçon :
Le bien n’est bien qu’en tant que l’on s’en peut défaire.
Sans cela c’est un mal. Veux-tu le reserver
Pour un âge et des temps qui n’en ont plus que faire !
La peine d’acquerir, le soin de conserver,
Ostent le prix à l’or qu’on croit si necessaire.
Pour se décharger d’un tel soin
Nostre homme eust pû trouver des gens surs au besoin ;
Il aima mieux la terre, et prenant son compere,
Celuy-cy l’aide ; Ils vont enfoüir le tresor.
Au bout de quelque-temps l’homme va voir son or.
Il ne retrouva que le giste.
Soupçonnant à bon droit le compere, il va viste
Luy dire, Apprestez-vous ; car il me reste encor
Quelques deniers ; je veux les joindre à l’autre masse.
Le compere aussi-tost va remettre en sa place
L’argent volé, prétendant bien
Tout reprendre à la fois sans qu’il manquast rien.
Mais pour ce coup l’autre fut sage :
Il retint tout chez lui, résolu de joüir,
Plus n’entasser, plus n’enfoüir.
Et le pauvre voleur ne trouvant plus son gage,
Pensa tomber de sa hauteur.
Il n’est pas mal-aisé de tromper un trompeur.




V.
LE LOUP ET LES BERGERS.



Un Loup remply d’humanité,
(S’il en est de tels dans le monde)
Fit un jour sur sa cruauté,
Quoy qu’il ne l’exerçast que par necessité,
Une reflexion profonde.