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LIVRE DIXIÉME.

O Rois des animaux, ou plûtost leurs tyrans,
Qui vous feroit choses pareilles ?
Ainsi crioit Mouflar jeune dogue ; et les gens
Peu touchez de ses cris douloureux et perçans,
Venoient de luy couper sans pitié les oreilles.
Mouflar y croyoit perdre ; il vit avec le tems
Qu’il y gagnoit beaucoup ; car estant de nature
A piller ses pareils, mainte mesaventure
L’auroit fait retourner chez luy
Avec cette partie en cent lieux alterée ;
Chien hargneux a toûjours l’oreille déchirée.
Le moins qu’on peut laisser de prise aux dents d’autruy
C’est le mieux. Quand on n’a qu’un endroit à défendre,
On le munit de peur d’esclandre :
Témoin maistre Mouflar armé d’un gorgerin ;
Du reste ayant d’oreille autant que sur ma main,
Un Loup n’eust sceu par où le prendre.




IX.
LE BERGER ET LE ROY.



Deux demons à leur gré partagent nostre vie,
Et de son patrimoine ont chassé la raison.
Je ne vois point de cœur qui ne leur sacrifie.
Si vous me demandez leur état et leur nom,
J’appelle l’un, Amour ; et l’autre, Ambition.
Cette derniere étend le plus loin son empire ;
Car mesme elle entre dans l’amour.
Je le ferois bien voir : mais mon but est de dire
Comme un Roy fit venir un Berger à sa Cour.
Le conte est du bon temps, non du siecle où nous sommes.
Ce Roy vid un troupeau qui couvroit tous les-champs,
Bien broutant, en bon corps, rapportant tous les ans,