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Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 1.djvu/325

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LIVRE ONZIÉME.

N’estoient pas au compere un embarras leger.
Hé quoy, dit-il, cette canaille
Se moque impunément de moy ?
Je vais, je viens, je me travaille.
J’imagine cent tours ; le rustre en paix chez soy
Vous fait argent de tout, convertit en monnoye
Ses chapons, sa poulaille ; il en a mesme au croc :
Et moy maistre passé, quand j’attrape un vieux coq,
Je suis au comble de la joye !
Pourquoy sire Jupin m’a-t-il donc appellé
Au métier de Renard ? je jure les puissances
De l’Olimpe et du Stix, il en sera parlé.
Roulant en son cœur ces vengeances,
Il choisit une nuit liberale en pavots ;
Chascun estoit plongé dans un profond repos ;
Le Maistre du logis, les valets, le chien mesme,
Poules, poulets, chapons, tout dormoit. Le Fermier,
Laissant ouvert son poulailler,
Commit une sottise extrême.
Le voleur tourne tant qu’il entre au lieu guetté ;
Le dépeuple, remplit de meurtres la cité :
Les marques de sa cruauté
Parurent avec l’Aube ; on vid un étalage
De corps sanglans, et de carnage.
Peu s’en falut que le Soleil
Ne rebroussast d’horreur vers le manoir liquide.
Tel, et d’un spectacle pareil,
Apollon irrité contre le fier Atride
Joncha son camp de morts : on vid presque détruit
L’ost des Grecs, et ce fut l’ouvrage d’une nuit.
Tel encore autour de sa tente
Ajax à l’ame impatiente,
De moutons, et de boucs fit un vaste débris,
Croyant tuer en eux son concurrent Ulisse,
Et les autheurs de l’injustice
Par qui l’autre emporta le prix.
Le Renard autre Ajax aux volailles funeste,
Emporte ce qu’il peut, laisse étendu le reste.