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LIVRE ONZIÉME.

Le dormeur s’éveilla tant il en fut surpris.
Dans ce songe pourtant soupçonnant du mystere,
Il se fit expliquer l’affaire.
L’interprete lui dit : Ne vous étonnez point,
Vostre songe a du sens, et si j’ay sur ce poinct
Acquis tant soit peu d’habitude,
C’est un avis des Dieux. Pendant l’humain séjour
Ce Vizir quelquesfois cherchoit la solitude ;
Cét Hermite aux Vizirs alloit faire sa cour.

Si j’osois ajoûter au mot de l’interprete,
J’inspirerois icy l’amour de la retraite ;
Elle offre à ses amans des biens sans embarras,
Biens purs, presens du Ciel, qui naissent sous les pas.
Solitude où je trouve une douceur secrete,
Lieux que j’aimay toujours, ne pourray-je jamais,
Loin du monde et du bruit goûter l’ombre et le frais ?
O qui m’arrestera sous vos sombres aziles !
Quand poursent les neuf Sœurs, loin des cours et des Villes,
M’occuper tout entier, et m’apprendre des Cieux
Les divers mouvemens inconnus à nos yeux,
Les noms et les vertus de ces clartez errantes,
Par qui sont nos destins et nos mœurs differentes ?
Que si je ne suis né pour de si grands projets.
Du moins que les ruisseaux m’offrent de doux objets !
Que je peigne en mes Vers quelque rive fleurie !
La Parque à filets d’or n’ourdira point ma vie ;
Je ne dormiray point sous de riches lambris.
Mais void-on que le somme en perde-de son prix ?
En est-il moins profond, et moins plein de délices ?
Je luy vouë au desert de nouveaux sacrifices.
Quand le moment viendra d’aller trouver les morts,
J’auray vescu sans soins, et mourray sans remords.



La Fontaine. — I.
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