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FABLES CHOISIES.




V.
LE LION, LE SINGE, ET LES DEUX
ASNES.



Le Lion, pour bien gouverner,
Voulant apprendre la morale,
Se fit un beau jour amener
Le Singe maistre es arts chez la gent animale.
La premiere leçon que donna le Regent,
Fut celle-cy ; Grand Roy, pour regner sagement,
Il faut que tout Prince prefere
Le zele de l’Estat à certain mouvement,
Qu’on appelle communément
Amour propre ; car c’est le pere,
C’est l’autheur de tous les défauts,
Que l’on remarque aux animaux.
Vouloir que de tout poinct ce sentiment vous quitte,
Ce n’est pas chose si petite
Qu’on en vienne à bout en un jour ;
C’est beaucoup de pouvoir moderer cét amour.
Par là vostre personne auguste
N’admettra jamais rien en soy
De ridicule ny d’injuste.
Donne-moy, repartit le Roy,
Des exemples de l’un et l’autre.
Toute espece, dit le Docteur,
(Et je commence par la nostre)
Toute profession s’estime dans son cœur,
Traite les autres d’ignorantes,
Les qualifie impertinentes,
Et semblables discours qui ne nous coûtent rien.
L’amour propre au rebours, fait qu’au degré suprême
On porte ses pareils ; car c’est un bon moyen