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Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 1.djvu/344

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FABLES CHOISIES.

Quelque Dieu le retient ; c’est nôtre Souverain,
Lui qu’un mois a rendu maître et vainqueur du Rhin,
Cette rapidité fut alors necessaire :
Peut-être elle seroit aujourd’hui temeraire.
Je m’en tais ; aussi-bien les Ris et les Amours
Ne sont pas soupçonnez d’aimer les longs discours.
De ces sortes de Dieux vôtre Cour se compose.
Ils ne vous quittent point. Ce n’est pas qu’apres tout
D’autres Divinitez n y tiennent le haut bout ;
Le sens et la raison y reglent toute chose.
Consultez ces derniers sur un fait où les Grecs,
Imprudens et peu circonspects,
S’abandonnerent à des charmes
Qui métamorphosoient en bêtes les humains.
Les Compagnons d’Ulisse, après dix ans d’alarmes,
Erroient au gré du vent, de leur sort incertains.
Ils aborderent un rivage
Où la fille du Dieu du Jour,
Circé, tenoit alors sa Cour.
Elle leur fit prendre un breuvage
Délicieux, mais plein d’un funeste poison.
D’abord ils perdent la raison :
Quelques momens après leur corps et leur visage
Prennent l’air et les traits d’animaux differens.
Les voilà devenus Ours, Lions, Elephans ;
Les uns sous une masse énorme.
Les autres sous une autre forme :
Il s’en vid de petits, exemplum ut Talpa[1] ;
Le seul Ulisse en échappa.
Il sçut se défier de la liqueur traîtresse.
Comme il joignoit à la sagesse
La mine d’un Heros et le doux entretien,
Il fit tant que l’Enchanteresse
Prit un autre poison peu différent du sien.

  1. Talpa, dans les grammaires latines, est donné comme exemple des mots qui, bien qu’ayant une terminaison féminine, peuvent être du genre masculin.