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LIVRE DOUZIÉME.

Une Déesse dit tout ce qu’elle a dans l’ame ;
Celle-cy déclara sa flâme.
Ulisse étoit trop fin pour ne pas profiter
D’une pareille conjoncture.
Il obtint qu’on rendroit à ces Grecs leur figure.
Mais la voudront-ils bien, dit la Nymphe, accepter ?
Allez le proposer de ce pas à la troupe.
Ulisse y court, et dit, L’Empoisonneuse coupe
A son remede encore, et je viens vous l’offrir :
Chers amis, voulez-vous hommes redevenir ?
On vous rend déja la parole.
Le Lion dit, pensant rugir,
Je n’ai pas la tête si folle.
Moi renoncer aux dons que je viens d’acquerir ?
J’ai griffe et dent, et mets en pieces qui m’attaque :
Je suis Roi, deviendrai-je un Citadin d’Itaque ?
Tu me rendras peut-être encor simple Soldat ;
Je ne veux point changer d’état.
Ulisse du Lion court à l’Ours : Eh, mon frere,
Comme te voilà fait ! je t’ai vû si joli.
Ah vraiment nous y voici.
Reprit l’Ours à sa maniere ;
Comme me voilà fait ! Comme doit être un Ours.
Qui t’a dit qu’une forme est plus belle qu’une autre ?
Est-ce à la tienne à juger de la nôtre ?
Je me rapporte aux yeux d’une Ourse mes amours.
Te déplais-je ? va-t’en, sui ta route et me laisse :
Je vis libre, content, sans nul soin qui me presse ;
Et te dis tout net et tout plat,
Je ne veux point changer d’état.
Le Prince Grec au Loup va proposer l’affaire ;
Il lui dit, au hazard d’un semblable refus,
Camarade, je suis confus
Qu’une jeune et belle Bergere
Conte aux échos les appetits gloutons
Qui t’ont fait manger ses moutons.
Autrefois on t’eût vû sauver sa bergerie :
Tu menois une honneste vie.