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LIVRE DOUZIÉME.

Le Ciel joignit en sa personne
Ce qui sçait se faire estimer
A ce qui sçait se faire aimer.
Il ne m’appartient pas d’étaler vôtre joie.
Je me tais donc, et vais rimer[1]
Ce que fit un Oiseau de proie[2].

Un Milan de son nid antique possesseur,
Etant pris vif par un Chasseur,
D’en faire au Prince un don cet homme se propose.
La rareté du fait donnoit prix à la chose.
L’Oiseau par le Chasseur humblement présenté.
Si ce conte n’est apocriphe,
Va tout droit imprimer sa griffe
Sur le nez de sa Majesté.
Quoi sur le nez du Roi ? Du Roi même en personne.
Il n’avoit donc alors ni Sceptre ni Couronne ?

  1. Ce qui sçait la faire estimer
    A ce qui sçait la faire aimer,
    Il ne m’appartient pas de dire vôtre joye ;
    Je m’en tais donc, et vais rimer.

    (Les Œuvres postumes.)
  2. On trouve ici, dans Les Œuvres postumes, le morceau suivant :
    Je change un peu la chose. Un peu ? J’y change tout ;
    La Critique en cela me va pousser à bout ;
    Car c’est une étrange femelle.
    Rien ne nous sert d’entrer en raison avec elle.
    Elle va m’alleguer que tout fait est sacré,
    Je n’en disconviens pas, et me sçay pourtant gré
    D’alterer celui-cy, c’est à cette licence
    Que je dois l’acte de clemence,
    Par qui je donne aux Rois des leçons de bonté ;
    Tous ne ressemblent pas au nostre
    Le monde est un Marchand mêlé,
    L’on y voit de l’un, et de l’autre.
    Icy bas le beau ni le bon
    Ne sont estimez tels, que par comparaison.
    LOUIS seul est incomparable,
    Je ne lui donne point un éloge affecté,
    L’on sçait que j’ay toûjours entremêlé la Fable
    De quelque trait de vérité.
    Revenons à l’Oyseau, le fait est memorable,