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LA VIE

venger contrefit des lettres par lesquelles il sembloit qu’Esope eust intelligence avec les Rois qui estoient emules de Lycerus. Lycerus persuadé par le cachet et par la signature de ces lettres, commanda à un de ses Officiers nommé Hermippus, que sans chercher de plus grandes preuves il fist mourir promptement le traistre Esope. Cet Hermippus estant amy du Phrygien luy sauva la vie, et à insceu de tout le monde, le nourrit long-temps dans un Sepulchre, jusqu’à ce que Nectenabo Roy d’Égypte sur le bruit de la mort d’Esope crût à l’avenir rendre Lycerus son tributaire. Il osa le provoquer, et le défia de luy envoyer des Architectes qui sceussent bastir une Tour en l’air, et par mesme moyen un homme prest à repondre à toutes sortes de questions. Lycerus ayant leu les lettres et les ayant communiquées aux plus habiles de son Estat, chacun d’eux demeura court ; ce qui fit que le Roy regreta Esope ; quand Hermippus luy dit qu’il n’estoit pas mort, et le fit venir. Le Phrygien fut tres-bien receu, se justifia, et pardonna à Ennus. Quant à la lettre du Roy d’Egypte, il n’en fit que rire, et manda qu’il envoiroit au printemps les Architectes et le Répondant à toutes sortes de questions. Lycerus remit Esope en possession de tous ses biens, et luy fit livrer Ennus pour en faire ce qu’il voudroit. Esope le receut comme son enfant et pour toute punition luy recommanda d’honorer les Dieux et son Prince ; se rendre terrible à ses ennemis, facile et commode aux autres ; bien traiter sa femme sans pourtant luy confier son secret ; parler peu, et chasser de chez soy les Babillards ; ne se point laisser abatre aux mal-heurs ; avoir soin du lendemain, car il vaut mieux enrichir ses ennemis par sa mort, que d’estre importun à ses amis pendant son vivant ; sur tout n’estre point envieux du bonheur ny de la vertu d’autruy, d’autant que c’est se faire du mal à soy-mesme. Ennus touché de ces avertissemens et de la bonté d’Esope, comme d’un trait qui luy auroit pene-