Les Reynes des étangs, grenoüilles veus je dire,
(Car que coûte-t-il d’appeller
Les choses par noms honorables ?) ,
Contre leur bienfacteur[1] oserent cabaler,
Et devinrent insupportables.
L’imprudence, l’orgueil, et l’oubli des bienfaits,
Enfans de la bonne fortune,
Firent bien-tost crier cette troupe importune ;
On ne pouvoit dormir en paix.
Si l’on eust crû leur murmure
Elles auroient par leurs cris
Soulevé grands et petits.
Contre l’œil de la Nature.
Le Soleil, à leur dire, alloit tout consumer,
Il falloit promptement s’armer,
Et lever des troupes puissantes
Aussi-tost qu’il faisoit un pas.
Ambassades Croassantes
Alloient dans tous les Etats.
A les ouïr, tout le monde,
Toute la machine ronde
Rouloit sur les interests
De quatre méchants marests.
Cette plainte temeraire
Dure toûjours ; et pourtant
Grenoüiles devroient[2] se taire
Et ne murmurer pas tant.
Car si le Soleil se pique,
Il le leur fera sentir.
La Republique aquatique
Pourroit bien s’en repentir.
Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 1.djvu/390
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
384
FABLES CHOISIES.
![](http://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/thumb/b/bd/La_Fontaine_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_-_Tome_1.djvu/page390-984px-La_Fontaine_-_%C5%92uvres_compl%C3%A8tes_-_Tome_1.djvu.jpg)