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FABLES CHOISIES.


VIII.
L’HIRONDELLE ET LES PETITS OYSEAUX.



Une Hirondelle en ses voyages
Avoit beaucoup appris. Quiconque a beaucoup veu
Peut avoir beaucoup retenu.
Celle-cy prevoyoit jusqu’aux moindres orages,
Et devant qu’ils fussent éclos,
Les annonçoit aux Matelots.
Il arriva qu’au temps que la chanvre se seme
Elle vid un Manant en couvrir maints sillons.
Cecy ne me plaist pas, dit-elle aux Oisillons,
Je vous plains : Car pour moy, dans ce peril extrême,
Je sçauray m’éloigner, ou vivre en quelque coin.
Voyez-vous cette main qui par les airs chemine ?
Un jour viendra, qui n’est pas loin,
Que ce qu’elle répand sera votre ruïne.
De là naîtront engins à vous enveloper,
Et lacets pour vous attraper ;
Enfin mainte et mainte machine
Qui causera dans la saison
Vostre mort ou vostre prison.
Gare la cage ou le chaudron.
C’est pourquoy, leur dit l’Hirondelle,
Mangez ce grain, et croyez-moy.
Les Oyseaux se moquerent d’elle :
Ils trouvoient aux champs trop dequoy.
Quand la cheneviere fut verte,
L’Hirondelle leur dit : Arrachez brin à brin
Ce qu’a produit ce maudit grain ;
Ou soyez seurs de vostre perte.
Prophete de mal-heur, babillarde, dit-on,
Le bel employ que tu nous donnes !
Il nous faudroit mille personnes