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PREFACE.

beaucoup de retenuë dés l’abord, ou par leur sujet, ou par la maniere dont on les traite. Je confesse qu’il faut garder en cela des bornes, et que les plus étroites sont les meilleures : Aussi faut-il m’avoüer que trop de scrupule gasteroit tout. Qui voudroit reduire Bocace à la même pudeur que Virgile, ne feroit asseurément rien qui vaille, et pecheroit contre les Loix de la bienseance en prenant à tâche de les observer. Car, afin que l’on ne s’y trompe pas, en matiere de Vers et de Prose, l’extrême pudeur et la bienseance sont deux choses bien differentes. Ciceron fait consister la derniere à dire ce qu’il est à propos qu’on die, eu égard au lieu, au temps, et aux personnes qu’on entretient. Ce principe une fois posé, ce n’est pas une faute de jugement que d’entretenir les gens d’aujourd’huy de Contes un peu libres. Je ne peche pas non plus en cela contre la Morale. S’il y a quelque chose dans nos écrits qui puisse faire impression sur les ames, ce n’est nullement la gayeté de ces Contes ; elle passe legerement : je craindrois plustost une douce melancholie, où les Romans les plus chastes et les plus modestes sont très-capables de nous plonger, et qui est une grande preparation pour l’amour. Quant à la seconde objection, par laquelle on me reproche que ce Livre fait tort aux femmes, on auroit raison si je parlois serieusement ; mais qui ne voit que cecy est jeu, et par consequent ne peut porter coup ? Il ne faut pas avoir peur que les mariages en soient à l’avenir moins frequens, et les maris plus fort sur leurs gardes. On me peut encore objecter que ces Contes ne sont pas fondez, ou qu’ils ont partout un fonde-