Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvu/150

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
142
CONTES ET NOUVELLES.

Que, sans courir ny precipiter rien,
Nous nous gardions de nous laisser surprendre.
Si la frayeur t’avoit fait mal entendre :
Pour moy, j’avois l’esprit tout éperdu.
Non, non, Maman j’ay fort bien entendu,
Dit la fillette. Or bien reprit la Mere,
Puisque ainsi va, mettons-nous en priere.
  Le lendemain, tout le jour se passa
A raisonner, et par cy, et par là,
Sur cette voix et sur cette rencontre.
La nuit venuë, arrive le corneur ;
Il leur cria d’un ton à faire peur[1] :
Femme incredule, et qui vas alencontre
Des volontez de Dieu ton Createur,
Ne tarde plus, va t’en trouver l’Hermite,
Ou tu mourras. La fillette reprit :
Hé bien, Maman, l’avois-je pas bien dit ?
Mon Dieu, partons ; allons rendre visite
A l’Homme saint ; je crains tant vostre mort
Que j’y courrois, et tout de mon plus fort,
S’il le faloit. Allons donc, dit la Mere.
La Belle mit son corset des bons jours,
Son demy-ceint, ses pendans de velours,
Sans se douter de ce qu’elle alloit faire :
Jeune fillette a toûjours soin de plaire.
Nostre Cagot s’estoit mis aux aguets,
Et par un trou qu’il avoit fait exprés.
A sa Cellule, il vouloit que ces femmes[2]
Le pûssent voir comme un brave Soldat,
Le foüet en main, toûjours en un estat
De penitence, et de tirer des flâmes

  1. Edition de 1668 :
    Qui leur cria d’un ton à faire peur.
  2. Edition de 1668 :
    A sa Celule, il vouloit que les femmes.