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DEUXIESME PARTIE.

Que de ta fille il ait la compagnie ;
Car d’eux doit naistre un Pape, dont la vie
Reformera tout le peuple Chrestien.
La chose fut tellement prononcée,
Que dans le lit l’une et l’autre enfoncée
Ne laissa pas de l’entendre fort bien.
La peur les tint un quart-d’heure en silence.
La fille enfin met le nez hors des draps,
Et puis tirant sa Mere par le bras,
Luy dit d’un ton tout remply d’innocence :
Mon Dieu, maman, y faudra-t-il aller[1] ?
Ma compagnie ? helas ! qu’en veut-il faire ?
Je ne sçay pas comment il faut parler ;
Ma Cousine Anne est bien mieux son affaire
Et retiendroit bien mieux tous ses Sermons[2].
Sotte, tay toy, luy repartit la Mere,
C’est bien cela ; va, va, pour ces leçons
Il n’est besoin de tout l’esprit du monde :
Dés la premiere, ou bien dés la seconde,
Ta Cousine Anne en sçaura moins que toy.
Oüy ? dit la fille, hé ! mon Dieu, menez moy.
Partons, bien-tost nous reviendrons au giste.
Tout doux, reprit la Mere en soûriant,
Il ne faut pas que nous allions si viste :
Car que sçait-on ? le diable est bien meschant
Et bien trompeur ; si c’estoit luy, ma fille,
Qui fust venu pour nous tendre des lacs ?
As-tu pris garde ? il parloit d’un ton cas[3],
Comme je croy que parle la famille
De Lucifer. Le fait merite bien

  1. Edition de 1668 :
    Mon Dieu ! maman, il faudra y aller ?
  2. Edition de 1668 :
    Et retiendra bien mieux tous ses sermons.
  3. Edition de 1668 :
    As-tu pris garde ? il parloit d’un ton bas.