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CONTES ET NOUVELLES.

Le monde ne vous connoist gueres,
S’il croit que les faveurs sont chez vous familieres :
Non pas que les heureux amans
Soient ny Phenix ni corbeaux blancs ;
Aussi ne sont-ce fourmilleres.
Ce que mon Livre en dit doit passer pour chansons.
J’ay servy des beautez de toutes les façons :
Qu’ay-je gagné ? trés-peu de chose ;
Rien. Je m’aviserois sur le tard d’estre cause
Que la moindre de vous commist le moindre mal.
Contons ; mais contons bien ; c’est le point principal ;
C’est tout ; à cela prés, Censeurs, je vous conseille
De dormir comme moy sur l’une et l’autre oreille.
Censurez tant qu’il vous plaira
Mechans vers et phrases mechantes ;
Mais pour bons tours, laissez-les là ;
Ce sont choses indifferentes ;
Je n’y vois rien de perilleux.
Les meres, les maris, me prendront aux cheveux
Pour dix ou douze contes bleus !
Voyez un peu la belle affaire !
Ce que je n’ay pas fait, mon Livre iroit le faire !
Beau sexe, vous pouvez le lire en seureté ;
Mais je voudrois m’estre acquitté
De cette grace par avance.
Que puis-je faire en récompense ?
Un conte où l’on va voir vos appas triompher :
Nulle précaution ne les put étouffer.
Vous auriez surpassé le Printemps et l’Aurore
Dans l’esprit d’un garçon, si dés ses jeunes ans,
Outre l’éclat des Cieux, et les beautez des champs,
Il eust veu les vostres encore.
Aussi dés qu’il les vid il en sentit les coups ;
Vous surpassâtes tout ; il n’eut d’yeux que pour vous ;
Il laissa les palais : enfin vostre personne
Luy parut avoir plus d’attraits
Que n’en auroient à beaucoup prés
Tous les joyaux de la Couronne.