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CONTES ET NOUVELLES.

Il en usa selon sa passion :
Et plus ne fut de larme répanduë.
Honte cessa ; scrupule autant en fit.
Heureux sont ceux qu’on trompe à leur profit.
Aurore vint trop tost pour Callimaque,
Trop tost encor pour l’objet de ses vœux.
Il faut, dit-il, beaucoup plus d’une attaque
Contre un venin tenu si dangereux,
Les jours suivans, nostre couple amoureux
Y sceut pourvoir : l’Epoux ne tarda gueres
Qu’il n’eust attaint tous ses autres Confreres.
Pour ce coup-là falut se separer ;
L’Amant courut chez soy se recoucher.
A peine au lit il s’estoit mis encore,
Que nostre Epoux, joyeux et triomphant,
Le va trouver, et luy conte comment
S’estoit passé le jus de Mandragore.
D’abord, dit-il, j’allay tout doucement
Auprés du lit écouter si le Sire
S’approcheroit, et s’il en voudroit dire.
Puis je priay nostre Epouse tout bas
Qu’elle luy fist quelque peu de caresse,
Et ne craignist de gaster ses appas.
C’estoit au plus une nuit d’embarras.
Et ne pensez, ce luy dis-je, Lucrece,
Ny l’un ny l’autre en cecy me tromper ;
Je sçauray tout ; Nice se peut vanter
D’estre homme à qui l’on en donne à garder ;
Vous sçavez bien qu’il y va de ma vie.
N’allez donc point faire la rencherie.
Monstrez par là que vous sçavez aimer
Vostre mary plus qu’on ne croit encore :
C’est un beau champ. Que si cette pecore
Fait le honteux, envoyez sans tarder
M’en avertir ; car je me vais coucher :
Et n’y manquez ; nous y mettrons bon ordre.
Besoin n’en eus : tout fut bien jusqu’au bout.
Sçavez-vous bien que ce rustre y prit goust ?