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CONTES ET NOUVELLES.

Quand on le sçait, c’est peu de chose.
Vous croyez cependant que c’est un fort grand cas :
Tâchez donc d’en douter, et ne ressemblez pas
A celuy-là qui bût dans la Coupe enchantée.
Profitez du mal-heur d’autruy.
Si cette histoire peut soulager vostre ennuy,
]e vous l’auray bien tost contée.

Mais je vous veux premierement
Prouver par bon raisonnement
Que ce mal, dont la peur vous mine et vous consume,
N’est mal qu’en vostre idée, et non point dans l’effet :
En mettez-vous vostre bonnet
Moins aisément que de coustume ?
Cela s’en va-t-il pas tout net ?
Voyez-vous qu’il en reste une seule apparence,
Une tache qui nuise à vos plaisirs secrets ?
Ne retrouvez-vous pas toûjours les mesmes traits ?
Vous appercevez-vous d’aucune difference ?
Je tire donc ma cosequence,
Et dis, malgré le peuple ignorant et brutal :
Cocuage n’est point un mal.

Oüy, mais l’honneur est une estrange affaire !
Qui vous soustient que non ? ay-je dit le contraire ?
Et bien ! l’honneur, l’honneur ! je n’entends que ce mot.
Aprenez qu’à Paris ce n’est pas comme à Rome ;
Le Cocu qui s’afflige y passe pour un sot,
Et le Cocu qui rit, pour un fort honneste homme :
Quand on prend comme il faut cet accident fatal,
Cocuage n’est point un mal.
Prouvons que c’est un bien : la chose est fort facile.
Tout vous rit, vostre femme est souple comme un gan ;
Et vous pourriez avoir vingt Mignonnes en ville[1],

  1. Edition publiée en 1669 par J. Sambix :
      Et vous pourriez avoir cent Mignonnes en ville.