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TROISIESME PARTIE.

Posseder une nuit à son contentement.
Si Nerie eust voulu des baisers seulement,
C’estoit une affaire faite ;
Mais elle alloit au poinct, et ne marchandoit pas.
Damon, quoy qu’elle eust des appas,
Ne pouvoit se resoudre à fausser la promesse
D’estre fidelle à sa moitié,
Et vouloit que l’Enchanteresse
Se tinst aux marques d’amitié.

Où sont-ils ces maris ? la race en est cessée ;
Et mesme je ne sçay si jamais on en vid.
L’Histoire en cet endroit est, selon ma pensée,
Un peu sujette à contredit.
L’Hipogrife n’a rien qui me choque l’esprit,
Non plus que la lance enchantée,
Mais ceci, c’est un poinct qui d’abord me surprit :
Il passera pourtant, j’en ay fait passer d’autres.
Les gens d’alors estoient d’autres gens que les nostres ;
On ne vivoit pas comme on vit.
 
Pour venir à ses fins, l’amoureuse Nerie
Employa philtres et brevets,
Eut recours aux regards remplis d’affeterie ;
Enfin n’omit aucuns secrets[1].
Damon à ces ressorts opposoit l’Himenée.

  1. Dans les éditions de 1669, on lit, au lieu de ces quatre derniers vers, les onze qui suivent :
    Pour venir à ce que j’ay dit,
    Il n’est herbe, ny racine,
    Pillule, ny Medecine,
    Philtre, charme, ny brevet,
    Dont nostre Amante en vain ne tentast le secret
    Et ne fist joüer la machine.
    Des filtres elle en vint aux regards languissans,
    Aux soûpirs, aux façons pleines d’affeterie :
    Quand les charmes sont impuissans,
    Il ne faut pas que de sa vie
    Une femme pretende ensorceler les sens.