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CONTES ET NOUVELLES.

Nerie en fut fort estonnée.
Elle luy dit un jour : Vostre fidelité
Vous paroist heroïque et digne de loüange,
Mais je voudrois sçavoir comment de son costé
Caliste en use, et luy rendre le change[1].
Quoy donc, si vostre femme avoit un favory,
Vous feriez l’homme chaste auprés d’une Maistresse ?
Et pendant que Caliste, attrapant son mary,
Pousseroit jusqu’au bout ce qu’on nomme tendresse,
Vous n’iriez qu’à moitié chemin ?
Je vous croyois beaucoup plus fin,
Et ne vous tenois pas homme de mariage.
Laissez les bons Bourgeois se plaire en leur ménage ;
C’est pour eux seuls qu’Himen fit les plaisirs permis.
Mais vous, ne pas chercher ce qu’amour a d’exquis !
Les plaisirs deffendus n’auront rien qui vous pique,
Et vous les bannirez de vostre republique !
Non, non, je veux qu’ils soient desormais vos amis.
Faites-en seulement l’épreuve ;
Ils vous feront trouver Caliste toute neuve
Quand vous reviendrez au logis.
Apprenez tout au moins si vostre femme est chaste.
Je trouve qu’un certain Eraste
Va chez vous fort assidument.
Seroit-ce en qualité d’Amant,
Reprit Damon, qu’Eraste nous visite ?
Il est trop mon amy pour toucher ce point-là.
Vostre amy tant qu’il vous plaira,
Dit Nerie honteuse et depite,
Caliste a des appas, Eraste a du merite ;
Du costé de l’adresse il ne leur manque rien ;
Tout cela s’accommode bien.
 
Ce discours porta coup, et fit songer nostre homme.
Une Epouse fringante, et jeune, et dans son feu,

  1. Edition publiée en 1669 par J. Sambix :
    Caliste en use, et luy rendra le change.