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Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvu/197

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TROISIESME PARTIE.

Demeura bien surprise ; elle dit peu de chose :
Les pleurs furent son seul recours.
Le mary passa quelques jours
A raisonner sur cette affaire :
Un Cocu se pouvoit-il faire
Par la volonté seule et sans venir au poinct ?
L’estoit-il ? ne l’estoit-il point ?
Cette difficulté fut encore éclaircie
Par Nerie.
Si vous estes, dit-elle, en doute de cela,
Beuvez dans cette coupe-là :
On la fit par tel art que dés qu’un personnage
Dûment atteint de cocuage
Y veut porter la lévre, aussitost tout s’en va ;
Il n’en avale rien, et répand le breuvage
Sur son sein, sur sa barbe, et sur son vestement.
Que s’il n’est point censé Cocu suffisamment,
Il boit tout sans répandre goute.
Damon, pour éclaircir son doute
Porte la lévre au vase : il ne se répand rien.
C’est, dit-il, réconfort ; et pourtant je sçais bien
Qu’il n’a tenu qu’à moy. Qu’ay-je affaire de coupe ?
Faites-moy place en vostre troupe,
Messieurs de la grand’bande. Ainsi disoit Damon,
Faisant à sa femelle un étrange sermon.
Misérables humains, si pour les cocuages
Il faut en ces païs faire tant de façon,
Allons-nous-en chez les Sauvages.
 
Damon, de peur de pis, établit des Argus
A l’entour de sa femme, et la rendit Coquette.
Quand les Galands sont défendus,
C’est alors que l’on les souhaite.
Le mal-heureux époux s’informe, s’inquiete,
Et de tout son pouvoir court au devant d’un mal
Que la peur bien souvent rend aux hommes fatal.
De quart-d’heure en quart-d’heure il consulte la tasse.
Il y boit huit jours sans disgrace.