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CONTES ET NOUVELLES.

La liqueur du vase s’épand.
Un versa tout en un moment ;
Il fut fait General : et croyez que l’armée
De hauts Officiers ne manqua :
Plus d’un Intendant se trouva ;
Cette charge fut partagée.

Le nombre des soldats estant presque complet,
Et plus que suffisant pour se mettre en campagne ;
Renaud, neveu de Charlemagne,
Passe par ce Chasteau : l’on l’y traite à souhait :
Puis le Seigneur du lieu luy fait
Mesme harangue qu’à la troupe.
Renaud dit à Damon : Granmercy de la coupe :
Je crois ma femme chaste, et cette foy suffit.
Quand la coupe me l’aura dit,
Que m’en reviendra-t-il ? Cela sera-t-il cause
De me faire dormir de plus que de deux yeux ?
Je dors d’autant, graces aux Dieux :
Puis-je demander autre chose ?
Que sçay-je ? par hazard si le vin s’épandoit ?
Si je ne tenois pas vostre vase assez droit ?
Je suis quelquefois maladroit :
Si carte coupe enfin me prenoit pour un autre ?
Messire Damon, je suis vostre :
Commandez-moy tout, hors ce poinct.
Ainsi Renaud partit, et ne hazarda point.
Damon dit : Celuy-cy,Messieurs, et bien plus sage
Que nous n’avons esté : consolons-nous pourtant :
Nous avons des pareils ; c’est un grand avantage.
Il s’en rencontra tant et tant,
Que l’armée à la fin Royale devenuë,
Caliste eut liberté, selon le convenant,
Par son mary chere tenue
Tout de mesme qu’auparavant.

Epoux, Renaud vous montre à vivre.
Pour Damon, gardez de le suivre.