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TROISIESME PARTIE.

S’en alla demeurer aux champs ;
Et tout aussi-tost les Amans
De l’aller voir firent partie.
Elle les renvoya ; ces gens l’embarrassoient,
L’atiedissoient, l’affadissoient,
L’endormoient en contant leur flame :
Ils déplaisoient tous à la Dame,
Hormis certain jeune blondin,
Bienfait, et beau par excellence,
Mais qui ne put par sa souffrance
Amener à son but cet objet inhumain.
Son nom c’estoit Atis, son mestier paladin.
Il ne plaignit en son dessein
Ny les soûpirs ny la dépense.
Tout moyen par luy fut tenté :
Encor si des soûpirs il se fut contenté !
La source en est inépuisable ;
Mais de la dépense, c’est trop.
Le bien de nostre Amant s’en va le grand galop ;
Voila mon homme miserable.
Que fait-il ? il s’éclipse ; il part, il va chercher
Quelque desert pour se cacher.
En chemin il rencontre un homme,
Un Manant, qui, foüillant avecque son bâton,
Vouloit faire sortir un serpent d’un buisson ;
Atis s’enquit de la raison.
C’est, reprit le Manant, afin que je l’assomme.
Quand j’en rencontre sur mes pas,
Je leur fais de pareilles festes.
Amy, reprit Atis, laisse-le ; n’est-il pas
Creature de Dieu comme les autres bestes ?
Il est à remarquer que nostre Paladin
N’avoit pas cette horreur commune au genre humain
Contre la gent reptile, et toute son espece ;
Dans ses armes il en portoit,
Et de Cadmus il descendoit,
Celuy-là qui devint serpent sur sa vieillesse.
Force fut au Manant de quitter son dessein.