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CONTES ET NOUVELLES.

Le serpent se sauva ; nostre Amant à la fin
S’establit dans un bois écarté, solitaire :
Le silence y faisoit sa demeure ordinaire,
Hors quelque oiseau qu’on entendoit,
Et quelque Echo qui répondoit.
Là le bon-heur et la misere
Ne se distinguoient point, égaux en dignité
Chez les 1oups qu’hébergeoit ce lieu peu frequenté.
Atis n’y rencontra nulle tranquillité.
Son amour l’y suivit ; et cette solitude,
Bien loin d’estre un remede à son inquietude,
En devint mesme l’aliment,
Par le loisir qu’il eut d’y plaindre son tourment.
Il s’ennuya bien-tost de ne plus voir sa Belle.
Retournons, ce dit-il, puis que c’est nostre sort :
Atis, il t’est plus doux encor
De la voir ingrate et cruelle,
Que d’estre privé de ses traits :
Adieu ruisseaux, ombrages frais,
Chants amoureux de Philomele ;
Mon inhumaine seule attire à soy mes sens :
Esloigné de ses yeux, je ne vois ny n’entends.
L’esclave fugitif se va remettre encore
En ses fers, quoy que durs, mais, helas ! trop cheris.
Il approchoit des murs qu’une Fee a bastis ;
Quand sur les bords du Mince, à l’heure que l’Aurore
Commence à s’eloigner du sejour de Thetis,
Une Nimphe en habit de Reine,
Belle, majestueuse, et d’un regard charmant ;
Vint s’offrir tout d’un coup aux yeux du pauvre Amant
Qui resvoit alors à sa peine.
Je veux, dit-elle, Atis, que vous soyez heureux :
Je le veux, je le puis, estant Manto la Fée,
Vostre amie et vostre obligée.
Vous connoissez ce nom fameux.
Mantouë en tient le sien : jadis en cette terre,
J’ay posé la premiere pierre
De ces murs, en durée égaux aux bastimens