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CONTES ET NOUVELLES.

Il choisit un de ses Valets,
Le charge d’un billet, et mande que Madame
Vienne voir son Mary malade en ta Cité.
La Belle n’avoit point son Village quitté :
L’époux alloit, venoit, et laissoit là sa femme.
Il te faut en chemin écarter tous ses gens,
Dit Anselme au porteur de ces ordres pressans ;
La perfide a couvert mon front d’ignominie :
Pour satisfaction je veux avoir sa vie.
Poignarde-la ; mais prends ton temps :
Tasche de te sauver : voila pour ta retraite ;
Prend cet or : si tu fais ce qu’Anselme souhaite,
Et punis cette offense-là,
Quelque part que tu sois, rien ne te manquera.
Le valet va trouver Argie,
Qui par son Chien est avertie.
Si vous me demandez comme un Chien avertit,
Je crois que par la jupe il tire ;
Il se plaint, il jappe, il soûpire,
Il en veut à chacun ; pour peu qu’on ait d’esprit,
On entend bien ce qu’il veut dire.
Favory fit bien plus ; et tout bas il apprit
Un tel peril à sa Maistresse.
Partez pourtant, dit-il, on ne vous fera rien :
Reposez-vous sur moy ; j’en empescheray bien
Ce valet à l’ame traistresse.
Ils estoient en chemin, prés d’un bois qui servoit
Souvent aux voleurs de refuge :
Le Ministre cruel des vengeances du Juge
Envoye un peu devant le train qui les suivoit ;
Puis il dit l’ordre qu’il avoit.
La Dame disparoist aux yeux du personnage :
Manto la cache en un nüage.
Le valet estonné retourne vers l’Epoux,
Luy conte le miracle ; et son Maistre en courroux
Va luy-mesme à l’endroit. O prodige ! ô merveille !
Il y trouve un Palais de beauté sans pareille :
Une heure auparavant c’estoit un champ tout nu.