Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvu/246

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
238
CONTES ET NOUVELLES.

Bonaventure à six moments de là
Donne d’esprit une seconde dose.
Ce ne fut tout, une autre succeda ;
La charité du beau Pere estoit grande.
Et bien dit-il, que vous semble du jeu ?
A nous venir l’esprit tarde bien peu,
Reprit la belle ; et puis elle demande :
Mais s’il s’en va ? S’il s’en va, nous verrons ;
D’autres secrets se mettent en usage.
N’en cherchez point, dit Lise, davantage ;
De celuy-cy nous nous contenterons.
Soit fait, dit-il, nous recommencerons
Au pis aller, tant et tant qu’il suffise.
Le pis aller sembla le mieux à Lise.
Le secret mesme encor se repeta
Par le Pater ; il aimoit cette dance.
Lise luy fait une humble reverence,
Et s’en retourne en songeant à cela.
Lise songer ! Quoy ! dé-jà Lise songe !
Elle fait plus, elle cherche un mensonge,
Se doutant bien qu’on luy demanderoit,
Sans y manquer, d’où ce retard venoit.
Deux jours aprés, sa compagne Nanette
S’en vient la voir : pendant leur entretien
Lise révoit. Nanette comprit bien,
Comme elle estoit clair-voyante et finette,
Que Lise alors ne révoit pas pour rien.
Elle fait tant, tourne tant son amie,
Que celle-cy luy declare le tout :
L’autre n’estoit à l’ouïr endormie.
Sans rien cacher, Lise de bout en bout,
De point en point, luy conte le mystere,
Dimensions de l’esprit du beau Pere,
Et les encor, enfin tout le Phœbé.
Mais vous, dit-elle, apprenez-nous de grace
Quand et par qui l’esprit vous fut donné.
Anne reprit : Puis qu’il faut que je fasse
Un libre aveu, c’est vostre frere Alain