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PREMIERE PARTIE.

Nous sommes beaux ; nous avons de l’esprit ;
Avec cela bonnes lettres de change ;
Il faudroit estre bien estrange
Pour resister à tant d’appas,
Et ne pas tomber dans les lacqs
De gens qui semeront l’argent et la fleurette,
Et dont la personne est bien faite.
Leur bagage estant prest, et le livre sur tout,
Nos galans se mettent en voye.
Je ne viendrois jamais à bout
De nombrer les faveurs que l’amour leur envoye :
Nouveaux objets, nouvelle proye :
Heureuses les beautez qui s’offrent à leurs yeux !
Et plus heureuse encor celle qui peut leur plaire !
Il n’est, en la pluspart des lieux,
Femme d’Eschevin, ny de Maire,
De Podestat, de Gouverneur,
Qui ne tienne à fort grand honneur
D’avoir en leur registre place.
Les cœurs que l’on croyoit de glace
Se fondent tous à leur abord.
J’entends déja maint esprit fort
M’objecter que la vray-semblance
N’est pas en cecy tout à fait.
Car, dira-t-on, quelque parfait
Que puisse estre un Galand dedans cette science,
Encor faut-il du temps pour mettre un cœur à bien.
S’il en faut, je n’en sçais rien ;
Ce n’est pas mon mestier de cajoller personne :
Je le rends comme ou me le donne ;
Et l’Arioste ne ment pas.
Si l’on vouloit à chaque pas
Arrester un conteur d’Histoire,
Il n’auroit jamais fait ; suffit qu’en pareil cas
Je promets à ces gens quelque jour de les croire.
Quand nos avanturiers eurent goûté de tout,
(De tout un peu, c’est comme il faut l’entendre)
Nous mettrons, dit Astolphe, autant de cœurs à bout

La Fontaine. II.