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CINQUIESME PARTIE.

Fut une annexe à sa legation.
Il se pouvoit tirer d’affliction
Par ses bons tours et par son industrie,
Mais non mourir, ny revoir sa patrie,
Qu’il n’eût icy consumé certain tems :
Sa mission devoit durer dix ans.
Le voilà donc qui traverse et qui passe
Ce que le Ciel voulut mettre d’espace
Entre ce monde et l’eternelle nuit ;
Il n’en mit guere, un moment y conduit.
Nôtre Demon s’établit à Florence,
Ville pour lors de luxe et de dépense :
Même il la crut propre pour le trafic.
Là, sous le nom du seigneur Roderic,
Il se logea, meubla, comme un riche homme ;
Grosse maison, grand train, nombre de gens ;
Anticipant tous les jours sur la somme
Qu’il ne devoit consumer qu’en dix ans.
On s’étonnoit d’une telle bombance :
Il tenoit table, avoit de tous côtez.
Gens à ses frais, soit pour ses voluptez,
Soit pour le faste et la magnificence.
L’un des plaisirs où plus il dépensa
Fut la loüange : Apollon l’encensa ;
Car il est maître en l’art de flaterie.
Diable n’eut onc tant d’honneurs en sa vie.
Son cœur devint le but de tous les traits
Qu’Amour lançoit : il n’étoit point de belle
Qui n’employât ce qu’elle avoit d’attraits
Pour le gagner, tant sauvage fût-elle ;
Car de trouver une seule rebelle,
Ce n’est la mode à gens de qui la main
Par les presens s’aplanit tout chemin :
C’est un ressort en tous desseins utile.
Je l’ay jà dit, et le redis encor,
Je ne connois d’autre premier mobile
Dans l’Univers que l’argent et que l’or.
Nôtre envoyé cependant tenoit compte