Page:La Fontaine - Œuvres complètes - Tome 2.djvu/379

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
371
A D O N I S .

Le Ciel est ma patrie, et Paphos mon domaine.
Je les quitte pour toy ; voy si tu veux m’aymer.
Le transport d’Adonis ne se peut exprimer.
O Dieux ! s’écria-t-il, n’est ce point quelque songe ?
Puis-je embrasser l’erreur où ce discours me plonge ?
Charmante Deïté, vous dois-je ajoûter foy ?
Quoy ! vous quittez les Cieux, et les quittez pour moy ?
Il me seroit permis d’aymer une Immortelle !
Amour rend ses sujets tous égaux, luy dit-elle ;
La beauté, dont les traits mesme aux Dieux sont si doux,
Est quelque chose encor de plus divin que nous.
Nous aymons, nous aymons, ainsi que toute chose :
Le pouvoir de mon fils de moy-mesme dispose :
Tout est né pour aymer. Ainsi parle Venus ;
Et ses yeux eloquens en disent beaucoup plus ;
Ils persuadent mieux que ce qu’a dit sa bouche.
Ses regards, truchemens de l’ardeur qui la touche,
Sa beauté souveraine, et les traits de son fils,
Ont contraint Mars d’aymer ; que peut faire Adonis ?
Il ayme, il sent couler un brasier dans ses veines ;
Les plaisirs qu’il attend sont accrus par ses peines :
Il desire, il espere, il craint, il sent un mal
A qui les plus grands biens n’ont rien qui soit égal.
Venus s’en apperçoit, et feint qu’elle ignore :
Tous deux de leur amour semblent douter encore,
Et, pour s’en asseurer chacun de ces Amans
Mille fois en un jour fait les mesmes sermens[1].

  1. Au lieu des vingt-huit vers qui précèdent, on lit dans le manuscrit de 1658 les vingt-quatre vers suivants :
    Dans ces sombres forêts c’est luy seul qui m’ameine ;
    Encor qu’il soit mon fils, c’est l’autheur de ma peine :
    Il m’oblige à quiter les cieux, où je ne voy
    Rien de si grand que luy, ny de si beau que moy.
    Pour toy je viens chercher un sejour solitaire,
    Et renonce aux autels à moins que de te plaire.
    Je pourrois employer, mon fils, et tous ses traits ;
    Mais je ne veux devoir ton cœur qu’à mes attraits :
    Tu ne le peux du moins refuser à la flame.
    Déesse, repond-il, que j’adore en mon ame,