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A D O N I S .

Là, se fondant en pleurs, on void croistre ses charmes.
Adonis luy répond seulement par des larmes.
Elle ne peut partir de ces aymables lieux,
Cent humides baisers achevent ses adieux.
O vous, tristes plaisirs où leur ame se noye,
Vains et derniers efforts d’une imparfaite joye,
Momens pour qui le sort rend leurs vœux superflus,
Delicieux momens, vous ne reviendrez plus !
Adonis void un char descendre de la nuë :
Cytherée, y montant, disparoist à sa veuë.
C’est en vain que des yeux il la suit dans les airs ;
Rien ne s’offre à ses sens que l’horreur des deserts[1].
Les vents, sourds à ses cris, renforcent leur haleine :
Tout ce qu’il vient de voir luy semble une ombre vaine.
Il appelle Venus, fait retentir les bois,
Et n’entend qu’un Echo qui répond à sa voix.
C’est lors que, repassant dans[2] sa triste memoire
Ce que n’aguere il eut de plaisirs et de gloire,
Il tasche à rappeller ce bon-heur sans pareil :
Semblable à ces Amans trompez par le sommeil,
Qui rappellent en vain pendant la nuit obscure
Le souvenir confus d’une douce imposture :
Tel Adonis repense à l’heur qu’il a perdu ;
Il le conte aux forests, et n’est point entendu :
Tout ce qui l’environne est privé[3] de tendresse ;
Et, soit que des douleurs la nuit enchanteresse
Plonge les malheureux au suc de ses pavots,
Soit que l’astre du jour rameine leurs travaux,
Adonis sans relasche aux plaintes s’abandonne,
De sanglots redoublés sa demeure resonne ;

  1. Dans le manuscrit de 1658 on lit, au lieu de ces trois derniers vers :
    Venus, en y montant, disparoist à sa veuë ;
    En vain d’un regard fixe il la suit dans les airs.
    Rien ne s’offre à ses yeux que l’horreur des deserts.
  2. En, dans le manuscrit de 165?8.
  3. Exempt, dans le manuscrit de 1658.