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POEME DU QUINQUINA.

M’a fait passer le but que je m’estois prescrit.
Vous vous reconnoissez à ces traits, Uranie :
C’est pour vous obeïr, et non point par mon choix,
Qu’à des sujets profonds j’occupe mon genie,
Disciple de Lucrece une seconde fois[1].
Favorisez cet œuvre ; empeschez qu’on ne die
Que mes Vers sous le poids languiront abbatus ;
Protegez les enfans d’une Muse hardie ;
Inspirez-moy : je veux qu’icy l’on étudie
D’un présent d’Apollon la force et les vertus.
 
 Aprés que les humains, œuvre de Prométhée,
Furent participans du feu qu’au sein des Dieux
Il déroba pour nous d’une audace effrontée,
Jupiter assembla les Habitans des Cieux :
Cette engeance, dit-il, est donc nostre rivale !
Punissons des humains l’infidele artisan ;
Taschons par tout moyen d’alterer son présent.
Sa main du feu divin leur fut trop liberale ;
Desormais nos égaux, et tout fiers de nos biens,
Ils ne fréquenteront vos temples ny les miens
Envoyons-leur de maux une troupe fatale,
Une source de vœux, un fonds pour nos autels.
Tout l’Olimpe applaudit : aussi-tost les mortels
Virent courir sur eux avecque violence
Pestes, fievres, poisons répandus dans les airs.
Pandore ouvrit sa boëte, et mille maux divers
S’en vinrent au secours de nostre intemperance.
Un des Dieux fut touché du malheur des humains :
C’est celuy qui pour nous sans cesse ouvre les mains ;
C’est Phœbus Apollon. De luy vient la lumiere,
La chaleur qui descend au sein de nostre mere,
Les simples, leur employ, la musique, les vers,
Et l’or, si c’est un bien que l’or pour l’Univers.
Ce Dieu, dis-je, touché de l’humaine misere,

  1. Allusion au Discours à madame de La Sablière sur
    l’âme des bêtes. (Liv. X, fable I.).