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PHILEMON ET BAUCIS.

Quelques restes de feu sous la cendre épandus
D’un souffle haletant par Baucis s’allumerent :
Des branches de bois sec aussi-tôt s’enflammerent.
L’onde tiéde, on lava les pieds des Voyageurs.
Philémon les pria d’excuser ces longueurs :
Et pour tromper l’ennuv d’une attente importune,
Il entretint les Dieux, non point sur la fortune,
Sur ses jeux, sur la pompe et la grandeur des Rois,
Mais sur ce que les champs, les vergers et les bois
Ont de plus innocent, de plus doux, de plus rare.
Cependant par Baucis le festin se prepare.
La table où l’on servit le champêtre repas
Fut d’aix non façonnez à l’aide du compas :
Encore assure-t-on, si l’histoire en est cruë,
Qu’en un de ses supports le temps l’avoit rompuë.
Baucis en égala les appuis chancelans
Du débris d’un vieux vase, autre injure des ans.
Un tapis tout usé couvrit deux escabelles :
Il ne servoit pourtant qu’aux fêtes solemnelles.
Le linge orné de fleurs fut couvert, pour tout mets,
D’un peu de lait, de fruits, et des dons de Céres.
Les divins Voyageurs, alterez de leur course,
Méloient au vin grossier le cristal d’une source.
Plus le vase versoit, moins il s’alloit vuidant.
Philémon reconnut ce miracle évident ;
Baucis n’en fit pas moins : tous deux s’agenoüillerent ;
A ce signe d’abord leurs yeux se désillerent.
Jupiter leur parut avec ces noirs sourcis
Qui font trembler les Cieux sur leurs Pôles assis.
Grand Dieu ! dit Philémon, excusez nôtre faute :
Quels humains auroient crû recevoir un tel Hôte ?
Ces mets, nous l’avoüons, sont peu delicieux ;
Mais quand nous serions Rois, que donner à des Dieux ?
C’est le cœur qui fait tout : que la terre et que l’onde
Aprêtent un repas pour les Maîtres du monde,
Ils luy prefereront les seuls presens du cœur.
Baucis sort à ces mots pour reparer l’erreur.
Dans le verger couroit une perdrix privée,