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PHILEMON ET BAUCIS.

Que la Fortune vend ce qu’on croit qu’elle donne.
Aproche-t-il du but, quitte-t-il ce séjour,
Rien ne trouble sa fin : c’est le soir d’un beau jour.
Philémon et Baucis nous en offrent l’exemple :
Tous deux virent changer leur Cabane en un Temple.
Hymenée et l’Amour, par des desirs constans,
Avoient uni leurs cœurs dés leur plus doux printemps :
Ny le temps ny l’hymen n’éteignirent leur flâme ;
Cloton prenoit plaisir à filer cette trame.
Ils sceurent cultiver, sans se voir assistez,
Leur enclos et leur champ par deux fois vingt Estez.
Eux seuls ils composoient toute leur Republique,
Heureux de ne devoir à pas-un domestique
Le plaisir ou le gré des soins qu’ils se rendoient.
Tout vieillit : sur leurs fronts les rides s’étendoient ;
L’amitié modera leurs feux sans les détruire,
Et par des traits d’amour sçût encor se produire.
Ils habitoient un Bourg plein de gens dont le cœur
Joignoit aux duretez un sentiment moqueur.
Jupiter resolut d’abolir cette engeance.
Il part avec son fils, le Dieu de l’Eloquence ;
Tous deux en Pelerins vont visiter ces lieux.
Mille logis y sont, un seul ne s’ouvre aux Dieux.
Prests enfin à quitter un séjour si prophane,
Ils virent à l’écart une étroite cabane,
Demeure hospitaliere, humble et chaste maison.
Mercure frappe : on ouvre ; aussi-tôt Philémon
Vient au-devant des Dieux et leur tient ce langage :
Vous me semblez tous deux fatiguez du voyage,
Reposez-vous. Usez du peu que nous avons ;
L’aide des Dieux a fait que nous le conservons :
Usez-en. Salüez ces Penates d’argile :
Jamais le Ciel ne fut aux humains si facile,
Que quand Jupiter même étoit de simple bois ;
Depuis qu’on l’a fait d’or, il est sourd à nos voix.
Baucis, ne tardez point ; faites tiédir cette onde :
Encor que le pouvoir au desir ne réponde,
Nos Hôtes agréront les soins qui leurs sont dûs.