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LES FILLES DE MINÉE.

Poison le plus cruel dont l’ame soit saisie :
Je n’en veux pour témoin que l’erreur de Procris.
Alcithoé, ma sœur, attachant vos esprits,
Des tragiques amours vous a conté l’élite ;
Celles que je vais dire ont aussi leur merite.
J’acourciray le temps, ainsi qu’elle, à mon tour.
Peu s’en faut que Phœbus ne partage le jour,
A ses rayons perçans opposons quelques voiles :
Voyons combien nos mains ont avancé nos toiles.
Je veux que sur la mienne, avant que d’être au soir,
Un progrez tout nouveau se fasse appercevoir.
Cependant donnez-moy quelque heure de silence,
Ne vous rebutez point de mon peu d’éloquence ;
Soufrez-en les défauts, et songez seulement
Au fruit qu’on peut tirer de cet évenement.

Cephale aymoit Procris ; il étoit aymé d’elle :
Chacun se proposoit leur hymen pour modelle.
Ce qu’Amour fait sentit de piquant et de doux
Combloit abondamment les vœux de ces époux.
Ils ne s’aymoient que trop ! leurs soins et leur tendresse
Aprochoient des transports d’amant et de maîtresse.
Le Ciel même envia cette felicité :
Cephale eut à combattre une Divinité.
Il étoit jeune et beau : l’Aurore en fut charmée,
N’étant pas à ces biens, chez elle, accoûtumée.
Nos belles cacheroient un pareil sentiment :
Chez les Divinitez on en use autrement.
Celle-cy declara ses pensers[1] à Cephale.
Il eut beau luy parler de la foy conjugale:
Les jeunes Deïtez qui n’ont qu’un vieil époux
Ne se soûmettent point à ces loix comme nous :
La Déesse enleva ce Heros si fidele.
De moderer ses feux il pria l’Immortelle :
Elle le fit ; l’amour devint simple amitié.
Retournez, dit l’Aurore, avec vôtre moitié ;

  1. Son amour, dans les Fables choisies de 1694.