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LES FILLES DE MINÉE.

Je ne troubleray plus vôtre ardeur ny la sienne :
Recevez seulement ces marques de la mienne.
(C’étoit un javelot toûjours seur de ses coups.)
Un jour cette Procris qui ne vit que pour vous
Fera le desespoir de vôtre ame charmée,
Et vous aurez regret de l’avoir tant aymée.
Tout Oracle est douteux, et porte un double sens :
Celuy-cy mit d’abord nôtre époux en suspens.
J’auray regret aux vœux que j’ay formez pour elle !
Eh comment ? n’est-ce point qu’elle m’est infidelle ?
Ah ! finissent mes jours plûtôt que de le voir !
Eprouvons toutefois ce que peut son devoir.
Des Mages aussi-tôt consultant la science,
D’un feint adolescent il prend la ressemblance,
S’en va trouver Procris, éleve jusqu’aux cieux
Ses beautez, qu’il soûtient être dignes des Dieux ;
Joint les pleurs aux soûpirs, comme un amant sçait faire,
Et ne peut s’éclaircir par cet art ordinaire.
Il falut recourir à ce qui porte coup,
Aux presens : il offrit, donna, promit beaucoup,
Promit tant, que Procris luy parut incertaine.
Toute chose a son prix. Voila Cephale en peine :
Il renonce aux citez, s’en va dans les forests ;
Conte aux vents, conte aux bois, ses déplaisirs secrets ;
S’imagine en chassant dissiper son martire.
C’étoit pendant ces mois où le chaud qu’on respire
Oblige d’implorer l’haleine des Zephirs.
Doux Vens, s’écrioit-il, prétez-moy des soupirs !
Venez, legers démons par qui nos champs fleurissent ;
Aure[1], fais-les venir, je sçai qu’ils t’obeïssent :
Ton employ dans ces lieux est de tout r’animer.
On l’entendit : on crut qu’il venoit de nommer
Quelque objet de ses vœux, autre que son épouse.
Elle en est avertie, et la voila jalouse.
Maint voisin charitable entretient ses ennuis.
Je ne le puis plus voit, dit-elle, que les nuits !

  1. Traduction du latin aura, souffle, vent léger.